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samedi 2 avril 2011

CALIFAT

Dans un café, un soir, devant des bières, avec des jeunes tunisiens. On parle de la situation politique depuis la Révolution, on demande "vous avez peur des islamistes ?". Et l'un d'entre eux : " tu parles si on a peur, moi je n'ai pas envie que mon pays devienne un califat". En général, en France, pour parler de la même chose, on dit "al qaïda" ou "les talibans ". Là, cette vieille notion, surgie des premiers temps de l'Islam, et réactivée depuis, il est vrai, par les rêves de totalitarisme religieux de Ben laden et de ses amis. En tous cas, la réalité est la même. Quand les révolutions arabes ont éclaté, toute l'Europe a été saisie d'un frisson : et s'ils allaient nous faire l'Iran de l'autre côté de la Méditerranée ? On peut rassurer l'Europe sur un point : une grande majorité des Tunisiens le craint encore bien plus. Depuis le 14 janvier, le pays a scruté avec angoisse les signes qui auraient pu montrer cette direction détestée. Vers la mi février, à une semaine d'intervalle, il y en a eu trois. D'abord une petite manifestation devant la grande synagogue de Tunis, au cours de laquelle on a entendu des slogans antisémites. Puis, le vendredi suivant, 18 février, quelques extrémistes barbus ont cherché une autre action d'éclat : ils ont voulu murer la vieille rue où se tient une institution séculaire de Tunis, le bordel, et en chasser les pensionnaires. Et le matin même, un prêtre polonais responsable d'une institution scolaire, avait été retrouvé égorgé. " Au grand soulagement de tout le monde, nous explique un diplomate européen, cette dernière affaire a vite été classée au rayon des faits divers. Rien à voir avec la politique ". Mais les deux autres ? Qui les a organisé ? Des anciens ben alistes cherchant à discréditer le nouveau régime, disent les uns. Des vrais fanatiques appartenant à un petit groupuscule ultra religieux, affirment les autres. Toujours est il que l'ensemble des partis politiques (y compris le parti islamiste majoritaire, Ennahda, qui n'aime rien tant pour l'instant qu'à se montrer modéré) a condamné avec fermeté toute cette violence. Et que depuis, tout ce qui faisait le terreau de cette incertitude et de ces questionnements, s'est transforme en quelque chose de plus raisonnable : le grand débat actuel de la vie politique. Quelle place faut-il donner à la religion ? Sur Facebook, dans la presse, dans les cafés, c'est l'empoignade passionnée, et passionnante du moment. La Tunisie doit réaffirmer son ancrage dans l'Islam, demandent les uns. Jamais de la vie, elle doit être laïque et cantonner la religion à la sphère privée, affirment les autres. Et, nombre de ceux que nous avons rencontré tiennent le même genre de raisonnement, mais dans sa version plus terrestre : "moi je veux bien que les filles aient le droit de porter le voile (interdit sous Ben Ali), mais je ne veux pas que les barbus m'empêchent de mener la vie que je veux." Et ils se resservent une bière.

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