6 - BRAQUAGE
Lecteur, attention, nous repartons aujourd'hui vers un authentique mot arabe. Ecrivons le en phonétique : brakaj'. Il se prononce en roulant le r, à la tunisienne, et en haussant le sourcil d'effroi : « Il parait qu'hier, dans telle ville, il y a encore eu un brakaj' ». « Tu ne sais pas ce qui est arrivé à mon cousin Hakim, sur l'autoroute ? Il a subi un brakaj' !!! ». Horreur de l'interlocuteur, soupir de l'assistance. Depuis la Révolution, on n'entend que lui. On peut parler avec n'importe qui, dans la rue, à l'hôtel, au café, on est sûr de le croiser au moins une fois. Au début, ça fait peur. La Tunisie est elle donc à feu et à sang ? Des gangs armés ont-ils pris le pouvoir ? On comprend ensuite qu'il ne faut pas se faire abuser par les cousinages linguistiques. Un brakaj', cela peut être, comme en français, une attaque de banque à main armée – mais cela n'arrive que de façon rarissime. Cela peut être plutôt un vol de téléphone portable ou une tentative d'effraction pour piquer un autoradio dans une voiture, bref, le genre de choses auxquels un européen ne prête même plus attention.
Seulement ces choses, si banales de notre côté de la méditerranée, sont nouvelles là -bas. Du temps de Ben Ali, le vol, comme on le sait maintenant, était pratiqué à très grande échelle, mais il fonctionnait, si l'on ose écrire, sous le régime d'un monopole d'Etat, entièrement géré par la famille du tyran. Et l'insécurité et la violence étaient terribles, barbares, sanglantes, mais elles étaient quasi-uniquement circonscrites à l'intérieur des commissariats ou, pire encore, aux locaux du sinistre ministère de l'Intérieur du bout de l'avenue Bourguiba, à Tunis, devant lequel on ne passait qu'en tremblant. Dans les rues, vu le nombre de flics qui y patrouillaient en permanence, le point est sûr, l'ordre régnait.
N'y règne-t-il plus ? Ça a été la grande peur des semaines qui ont suivi la révolution. Etait-elle réelle ou fantasmée ? C'est difficile à dire, tant on a du mal à faire le tri, dans ce pays où la presse peine à se relever, entre les rumeurs et les informations. A la mi janvier, on a parlé de prisons ouvertes par les membres de l'ancien régime, pour que les droits communs qui s'y trouvaient sèment le chaos dans le pays. On a parlé aussi de la difficulté des policiers, tellement compromis par leur soutien à la dictature, à se faire respecter. Il y a eu ici et là des attaques de commissariats, des voitures volées, des téléphones portables dérobés. Mais, rassurons de façon absolue ceux qui voudraient se rendre dans ce beau pays, rien de catastrophique, loin de là. Tunis n'a jamais été Rio et ne risque pas de le devenir. Il est clair, en outre, que les choses se résorbent et que, peu à peu, tout rentre dans l'ordre.
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