Ses deux filles, Laurine, 9 ans, et Justine, 12 ans, barbotent tranquillement dans la piscine du Palm Beach Club. Christine Thiot, 36 ans, chef de projet dans un centre d’appels à Clichy (Hauts-de-Seine), profite de ses dernières heures de vacances, allongée sur son transat. « Je me suis décidée pour Djerba en avril, explique la jeune femme, lunettes de soleil dans les cheveux. prix qui a fait la différence : 2500 € les deux semaines à trois, en tout inclus, je n’ai pas trouvé mieux ailleurs! » La révolution tunisienne et l’instabilité sociale qui en résulte aujourd’hui ne l’ont pas dissuadée de partir en famille.
« Je connais bien la Tunisie pour y être venue de nombreuses fois en vacances. Et puis, je suis en relation, grâce à mon travail, avec un centre d’appels tunisien, et je savais qu’il n’y a aucun souci de sécurité, ni le moindre problème à Djerba. » Le Palm Beach, occupé à près de 100% par des clients de Nouvelles Frontières, est à moitié vide. Du jamais-vu dans un hôtel de Djerba en cette mi-juillet, alors que les vacances scolaires en France sont déjà bien entamées.
Sami Loukil, le propriétaire des lieux, affiche pourtant un optimisme teinté de soulagement : « Nous avons entièrement rénové l’établissement cet hiver, et ce n’est jamais facile d’attirer une clientèle qui doit redécouvrir l’endroit. Réussir à remplir l’hôtel à 50% est déjà une victoire pour moi, malgré les conséquences immédiates de la révolution sur le marché du tourisme. Les réservations de dernière minute devraient permettre de passer à 60% d’ici à la fin du mois, et même 80% début août. »
Les temps sont durs pour les hôteliers, mais la fréquentation en chute libre ravit ceux qui ont fait le voyage, comme Marie-Noëlle, 62 ans, consultante en import-export et jeune retraitée, et son mari, Jean, clients du Park Inn, un hôtel classé 5 étoiles. « On voulait le soleil et du calme… C’est exactement l’ambiance, ici, explique Jean, tout sourire. Au moins, ce n’est pas la course pour avoir un transat libre au bord de la piscine. » L’hôtel, de près de 300 chambres, accueille, pour cette deuxième semaine de juillet, à peine 150 clients pour une capacité maximale de 500 clients. « Le patron du Radisson, juste à côté, nous a confié qu’il arrive tout juste à payer ses frais, poursuit Jean. Pour les bénéfices, il faudra attendre des jours meilleurs. » Pour ce couple sans enfant, habitué des hôtels plutôt luxueux, le facteur prix a également joué en faveur de la Tunisie. « Ce n’était pas notre premier choix de vacances, précise Marie-Noëlle. Nous voulions partir en Floride, mais les billets d’avion étaient prohibitifs. Même chose en Espagne, où les prix des hôtels de qualité ont vraiment augmenté ces derniers mois. »
Les formules à prix cassés sont celles qui ont le plus de succès. Le club Marmara, au sud de la « zone touristique », une enfilade d’une cinquantaine d’hôtels-clubs le long de la mer, semble faire davantage le plein. A 530 € la semaine en tout inclus, le prix payé par la famille Giacomini, difficile de faire plus économique en pleines vacances scolaires! « J’ai quand même une pointe de culpabilité à venir me dorer la pilule, alors que les Tunisiens que l’on croise nous disent tous la même chose : C’est dur, très dur », confie André Giacomini, 52 ans, instructeur nautique à Grenoble. Avec ses deux filles, Amélie, 22 ans, et Laura, 19 ans, étudiantes, il s’est confronté à la réalité sociale et politique de la région lors d’une excursion dans le désert. « Les Bédouins que nous avons rencontrés avaient demandé à notre guide de leur apporter du sucre, dont ils manquent cruellement, raconte Amélie. Beaucoup de Libyens, parmi ceux qui en ont les moyens, se sont installés ici pour fuir les combats dans leur pays, et achètent tout ce qu’ils trouvent. La pénurie commence à se faire sentir, et les prix de l’immobilier sont montés en flèche. »
Des visiteurs moins nombreux, ce sont des rentrées d’argent moindres pour les Tunisiens qui vivent du tourisme. Béchir, 29 ans, loueur de scooters de mer sur la plage en face du Radisson, fait grise mine. « Ils sont où, les touristes? » se demande-t-il, inquiet. « C’est la vraie galère pour ceux qui font de la vente sur la plage ou des balades à cheval ou à dromadaire. Les patrons ne sont pas contents de payer des gens à ne rien faire. » D’autant que le peu de touristes présents ne sortent pas ou très peu de leur hôtel tout confort. « Ailleurs, comme ici, c’est la crise pour tout le monde, confie, dépité, un chauffeur de taxi au volant de sa vieille Golf toussotante. Ça ira mieux l’année prochaine, inch Allah… »