Pierre Vermeren, spécialiste du Maghreb et professeur à la Sorbonne, vient de publier, en mai, « Maghreb, les origines de la révolution démocratique » (éd. Pluriel). A l'occasion du sommet du G8 à Deauville, qui se penche sur des mesures d'aides aux révolutions arabes, il revient sur la situation en Tunisie, le pays d'où est partie la vague de contestation dans le monde arabo-musulman
Pierre Vermeren, spécialiste du Maghreb et professeur à la Sorbonne, vient de publier, en mai, " Maghreb, les origines de la révolution démocratique "
Où en est la Tunisie, quatre mois après la fuite de Ben Ali, en janvier ?
D'un point de vue politique et social, on peut dire que les choses ne se sont pas trop mal passées. Les perspectives politiques sont créées avec les élections pour l'assemblée constituante qui semblent être maintenues pour le 24 juillet, après bien des hésitations. La population est finalement assez contente de l'évolution du pays, en dépit de la persistance des problèmes économiques. Il existe maintenant une perspective de liberté et de changement politique durable. Quant au gouvernement de transition, même si on lui reproche d'être un peu trop francophone, il est composé de gens compétents qui gèrent les affaires de façon efficace.
Mais il demeure des nuages sombres. D'une part, les fidèles de l'ancien régime sont toujours à la manœuvre pour saper le processus de transition. D'autre part, le colonel Kadhafi tente de porter la guerre en Tunisie. L'afflux de dizaines de milliers de réfugiés dans le pays est une lourde charge pour la Tunisie. Le bilan est donc mitigé mais le processus révolutionnaire se poursuit de façon encourageante.
Le pays est-il prêt pour des élections, prévues le 24 juillet ?
Evidemment non, mais il ne faut pas oublier que la Tunisie sort de plusieurs décennies de régime autoritaire, de parti pratiquement unique. La classe politique n'existait pas, il n'y avait pas de relève, pas d'opposition organisée et celle qui était en exil avait vieilli. Il y a aujourd'hui des intellectuels, des militants des droits de l'homme, des gens de bonne volonté, des jeunes aussi qui se sont illustrés pendant la révolution, mais tout cela ne fait pas une classe politique, au sens où nous l'entendons habituellement.
Je crois qu'il faut organiser des élections le plus rapidement possible pour asseoir sur le vote un régime légitime. Mais il s'agira encore d'un régime provisoire car cette assemblée devra rédiger une constitution et suivront ensuite d'autres élections, législatives et peut-être présidentielles. Le pays ne sera jamais prêt, mais il ne sera pas plus prêt en juillet qu'en octobre après le ramadan. Il y aura forcément des imperfections, mais il est important d'avoir un gouvernement légitimement élu. Pour la perfection, on attendra...
L'appareil de l'ancien dictateur Ben Ali a-t-il été éradiqué ?
Il est forcément toujours là puisque le parti de Ben Ali c'était, sur le papier, deux millions de membres, mais en réalité quelques centaines de milliers de notables et de fonctionnaires. Au ministère de l'intérieur, le gros des troupes est toujours présent. Des chefs ont été limogés et des sanctions sont tombées contre ceux qui étaient impliqués dans la répression pendant la révolution. Mais le gros de l'appareil est toujours en place. Or, c'est une police et une justice qui n'ont pas de culture démocratique. Il y a aussi des groupes qui misent sur la déstabilisation car ils ont beaucoup à perdre avec le changement du régime.
Comme pendant la révolution, il y a eu, fin avril et début mai, des incendies dans des prisons qui ont libéré des centaines de prisonniers pour qu'ils organisent le chaos dans le pays. Il y a évidemment des clans qui jouent la politique du pire. D'autant que les liens entre Kadhafi et l'ancienne garde présidentielle de Ben Ali, qui s'est réfugiée en Libye, sont toujours actifs. La semaine dernière, un commando libyen avec des charges explosives a été arrêté dans le nord de la Tunisie. C'est pour cela que la chute du régime du colonel Kadhafi serait un énorme soulagement pour la Tunisie.
Cela dit, les Tunisiens doivent conserver leur appareil d'Etat car il n'y en a pas d'autre. Il ne faut surtout pas faire comme en Irak où la plupart des fonctionnaires ont été renvoyés par les Américains après l'invasion de 2003, ce qui a attisé la guerre civile. Il faut donc garder cet appareil, tout en l'encadrant. Mais cela va être un processus long et difficile. C'est ce qui s'est passé après la mort de Franco, en Espagne, en 1975. Les forces de police et de justice autoritaires sont restées en place. En Tunisie aussi, elles seront, petit à petit, épaulées et remplacées et surtout dirigées par des générations qui seront plus attachées aux droits de l'homme.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire