La diaspora tunisienne est longtemps restée muette, de peur des représailles du régime. Seule une poignée de militants clamait son opposition à la dictature. Aujourd'hui, les jeunes émigrés s'investissent en masse dans la politique et veulent faire entendre leur voix depuis leur terre d'accueil.
Rafik Baraket, franco-tunisien de 32 ans, a pris sa carte dans un parti tunisien avec quelques amis, après la fuite du président Zine el Abidine Ben Ali. "C'est la révolution qui m'a fait m'engager, j'avais envie de changer la politique de mon pays", clame-t-il. Pourtant, M. Baraket n'aspire pas à retourner en Tunisie. Il milite à travers les réseaux sociaux. "La communauté tunisienne à l'étranger est un poids à faire entendre au pouvoir sur place, il y a beaucoup à faire ici." En effet, 10 % des Tunisiens vivent à l'étranger. 600 000 sont en France et s'investissent de plus en plus dans les anciens partis de l'opposition. A Paris, la communauté bouillonne, rassemblements et initiatives politiques se multiplient.
Mohamed Lakhdar Ellaba est membre du bureau politique d'Ettajdid à Paris. Ce parti post-communiste, légalisé en 1994, comptait quatre sièges au Parlement pendant la dictature. M. Lakhdar Ellala, qui préside aussi l'Association des Tunisiens de France (ATF), veut porter la voix des émigrés au nouveau Parlement. Soutenue par d'autres organisations, l'ATF a remis le 25 février un courrier au président de la haute commission des réformes politiques afin de demander l'introduction dans la future loi électorale du "droit de vote et d'éligibilité des Tunisiens résidant à l'étranger aux élections législatives et [du] droit de choisir, parmi eux, des représentants".
"Les émigrés ont toujours été considérés comme une simple manne de devises, aujourd'hui nous voulons changer cela", clame Rabeh Arfaoui, également membre de l'ATF.
"PARTICIPER À LA RECONSTRUCTION DU PAYS"
L'entrée en scène de plusieurs hommes politiques binationaux a encouragé les élites expatriées à mettre leur compétences au service de la nouvelle administration, même si les plus enthousiastes se voient accusés d'opportunisme par ceux qui ont, au pays, conduit la révolution.
L'Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge) incite depuis vingt ans ses membres à travailler en Tunisie. Controversée pour sa passivité pendant les années de dictature, l'Atuge se défend toutefois de n'avoir jamais "roulé pour personne". Trois des adhérents sont devenus ministres du gouvernement de transition, Mehdi Houas, Jalloul Ayed, et Elyès Jouini, qui est parti dans les bagages de Mohammed Ghanouchi, le précédent premier ministre.
"Dans nos cercles d'actifs et de membres proches, nous constatons une forte volonté d'aller sur le terrain et de participer à la reconstruction du pays, surtout chez les plus jeunes", explique Maher Barboura, président de l'Atuge-France.
"TERMINER LA RÉVOLUTION" PLUTÔT QUE SE "PARTAGER LE GÂTEAU"
Pendant les vingt-trois ans de dictature, un petit nombre de militants des droits de l'homme, altermondialistes et nationalistes arabes, portait le combat contre Ben Ali à bout de bras depuis la France. Dans les années 2000, ils ont été rejoints par de plus jeunes, qui diffusaient leur message sur Internet. Les associations historiques de l'émigration, comme la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), ont d'abord été le sas par lequel se sont engagés de nombreux jeunes. Elles sont désormais entourées d'une galaxie de collectifs d'étudiants désireux d'être acteurs du changement, à l'instar d'Action tunisienne, qui s'est formé le 13 janvier, la veille de la chute du régime.
Omeyya Seddik a fait le choix de retourner à Tunis, mais garde un pied à Paris pour agir aussi depuis la France. Ancien du Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB) et de divers autres collectifs, opposant à Ben Ali de la première heure, il fait partie d'un groupe de Tunisiens qui constitue de fait le bureau politique du Parti démocrate progressiste (PDP) en France. Il est également membre de la FTCR, qui porte depuis longtemps les revendications des émigrés. Ces deux organisations ont toujours été opposées radicalement à M. Ben Ali. Lui et ses camarades préfèrent "terminer la révolution" plutôt que de se "partager le gâteau". Aujourd'hui, le PDP recrute à tour de bras les jeunes militants en France, en prenant soin de dissuader ceux dont l'ambition principale serait de faire carrière.
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