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lundi 15 août 2011

La Tunisie, une démocratie entière dans 18 mois, selon The Guardian

La Tunisie a une chance raisonnable d'émerger  en tant que démocratie entière  dans les 18  mois à venir, telle est la conclusion majeure d’une enquête menée par le sérieux quotidien britannique « The Guardian » sur les perspectives politiques et économiques de la Tunisie à quelques semaines du scrutin du 23 octobre. Récit :
L'idée d'une révolution est intrinsèquement romantique et, après avoir vu les scènes de défiance qui s'est emparée de la Tunisie lors du renversement du président Ben Ali, j'avais hâte d'y retourner et d'observer comment les choses ont changé depuis ma visite dans ce pays,  l'année dernière, déclare en préambule la journaliste du quotidien britannique.
A la faveur de mes conversations avec la nouvelle  classe politique, ainsi que des  citoyens ordinaires, j’ai eu la claire impression que  la Tunisie  fait face, pour la première fois, aux défis de la pratique de pluralisme réel.
L'aspect le plus encourageant est l'attitude de la population. Les Tunisiens  cultivent  un sens bien mérité de la fierté attachée à la révolution. Tout le monde semble  politiquement engagé et désireux d'exprimer son opinion, même si la plupart des Tunisiens ne savent pas encore précisément ce qu'ils attendent d'un futur gouvernement.
Une saine culture de  la contestation -  même si parfois, elle est controversée – anime  une constellation de jeunes militants et de groupes de la société civile. Ils ont contraint des  vagues successives de membres de l’ancien régime à quitter le gouvernement, et continuent de faire pression  sur les institutions provisoires pour qu’elles tiennent  leurs promesses.
Il  existe  une voie claire pour aller de l'avant. Les  élections pour une assemblée constituante  sont  prévues pour le 23 octobre. Il s’agira d’élaborer  une nouvelle constitution d'ici un an, et les élections parlementaires et présidentielles pourraient se s’organiser  ensuite sur la base des nouvelles règles.
En bref, le pays a une chance raisonnable d'émerger  en tant que démocratie entière  dans les 18  mois à venir. Mon impression est que la transition tunisienne pourrait bien réussir parce qu’il y a de claires  indications de conserver  la confiance d'une population vigilante alors que les institutions démocratiques sont en cours de construction.
Toutefois, ceux qui travaillent effectivement au sein du  processus de transition regardent  le pays comme étant «calme en surface uniquement". Malgré le soutien   sans faille qu’ils apportent à  la révolution, les politiciens impliqués dans la mise en œuvre de ses objectifs peinent à instaurer  le pluralisme au sein d'une d'élite qui n'en a nulle expérience.
Avec plus de 80 partis politiques autorisés  depuis Janvier, il y a eu une cacophonie de nouvelles voix politiques sur fond de campagnes de dénigrement. Presque toutes les grandes figures politiques ont déjà été discréditées d'une certaine manière, et de nombreux Tunisiens semblent désespérés  au sujet de  leurs choix politiques. On estime que 54% de la population restent indécis quant à savoir pour qui ils vont voter en octobre.
Plutôt que de s’employer  à  mettre fin au chaos, la plupart des partis politiques semble plus intéressée par les affrontements l'un contre l'autre, et ne sont pas en train de mettre en place un climat de confiance pour permettre le partage du pouvoir dans un éventuel gouvernement. Ceci a en partie favorisé  la montée rapide d’Ennahda (Parti de la renaissance), naguère  interdit, et  qui est  un mouvement islamiste modéré crédité des plus fortes intentions de vote à l'heure actuelle. Ennahda a un avantage sur ses concurrents en raison principalement de sa réputation comme le mouvement qui  a toujours contesté à la fois Habib Bourguiba et Ben Ali.
Des dizaines de milliers de partisans d’Ennahda ont été emprisonnés ou ont pris le chemin de l’exil pendant les années 1980 et au début des années 1990. Le mouvement était essentiellement absent de la vie publique tunisienne, après 1991, même si ses membres ont commencé à se réunir en secret, à nouveau à partir de 1999.
Ce parcours confère  aux dirigeants d’Ennahda une certaine crédibilité auprès de la population, et le mouvement s'est réorganisé de manière agressive  depuis la reconnaissance légale  qui lui a été accordée, en mars.
Bien peu d'observateurs - dont les propres dirigeants Ennahda  - estiment  que le parti pourrait s’assurer  plus de 20-30% des suffrages, sa réémergence a créé un sentiment de paranoïa au sein du reste de la classe politique marquée par  une dangereuse polarisation.
 Nejib Chebbi, le chef du  Parti démocratique progressiste, déclare qu’il " n’est  pas inquiet au sujet  les islamistes autant que le sont les démocrates". Son opinion est  que beaucoup de politiciens pro-démocratie se sont unis dans leur critique d’Ennahda,  sans offrir cependant eux-mêmes  d'alternatives politiques valables.
Les médias  regorgent de  discours hostiles à Ennahda  tandis qu'il est juste que les dirigeants du mouvement soient  interpellés  sur des questions importantes pour les Tunisiens - telles que leur position sur le libéral  code du statut personnel – le dénigrement d’Ennahda ne doit pas servir de prétexte par d'autres partis afin d'éviter l‘élaboration  de programmes clairs.
Si les citoyens ne s’accommodent pas des  options qui seront disponibles  en octobre, ou encore  si les élections ne donnent pas lieu à des  résultats qui   garantissent  le partage du  pouvoir entre un vaste éventail de points de vue, il est à craindre que  la patience des  Tunisiens vis-à-vis le processus de transition ne puisse  s’effondrer  rapidement.
Et puis, il y a la situation économique. Bien que le démantèlement du  régime corrompu de Ben Ali soit sans doute positive pour la croissance  de la Tunisie sur le long terme, Mohamed Ben Romdhane, économiste affilié au parti de gauche  Ettajdid , explique que, sur  le court terme, la situation s'est dramatiquement détériorée. Cela est dû en grande partie à une absence totale de croissance de l'emploi  dans le  secteur privé (qui offre habituellement 80% des nouveaux emplois créés par an) tandis que les investisseurs nationaux et étrangers attendent d’être édifiés sur  la stabilité du nouveau gouvernement.
Le scénario le plus optimiste mis en avant par Mohamed Ben  Romdhane  prévoit que, si un système démocratique est mis en place avant la fin de 2012, les investisseurs commenceront  à revenir. Cependant, en raison du décalage entre les décisions d'investissement et la création d'emplois réels, la Tunisie devrait faire face à  quatre ou cinq ans  supplémentaires de crise économique et sociale avant que les citoyens ne commencent à percevoir une amélioration.
Demander aux  milliers de jeunes chômeurs tunisiens qui ont participé à la révolution d’attendre encore cinq ans n'est pas si aisé. La colère qui a été celle des jeunes  pendant  la révolution représente  une crainte réelle, et il est essentiel que soit maintenu un large consensus national appuyant l’action  des institutions de la transition tandis que le changement arrive progressivement.
Les politiciens tunisiens peuvent  réussir à construire sur la bonne volonté nationale existante, mais il y a toujours un risque qu'ils puissent perdre la foi de la population avant Octobre. Éviter la polarisation et  pratiquer le pluralisme réel - en acceptant les différents points de vue et échanger des idées dans le respect et  la  transparence – sont essentiels  à ce stade. Si la classe politique arrive à maîtriser  ses nerfs, la Tunisie aura la  chance de devenir la première démocratie  autodéterminée du monde arabe, conclut The Guardian.

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