Il y avait plus de morosité que de douceur dans la vie tunisienne. L'odeur du jasmin prenait un relent d'amertume aux tanins de révolution. Personne ne l'avait senti. Il y avait une paille dans le régime de fer, la charpente d'acier était si fragile. Qui le savait ?
"Seules les époques fatiguées de vie ont désiré la grandeur !", lançait Hannah Arendt dans son journal de pensée, en janvier 1953, en pensant à la guerre à peine achevée devant les plaies non cicatrisées des cratères des shrapnells. Mais aussi en repensant aux révolutions réussies et puis à celles qu'elle qualifiait d'échouées. La révolution française était une révolution ratée, avortée, elle n'avait en rien changée ni le pouvoir dans ses attributs ni dans sa façon de l'exercer. La Révolution française n'avait pas changé le pouvoir royal elle s'était contentée de le confier à de nouvelles mains et de couper des têtes. La révolution américaine – elle – avait réinventé le peuple, réinventé le pouvoir et redéfini les contours de l'Etat et jeté rois et reines à la mer, raccompagné sur les jetées de l'atlantique les autocrates !
Au travers de cette grille de lecture, la révolution tunisienne est-elle échouée ou exaucée ? Il est trop tôt pour le dire ! Elle sera échouée si, demain, le pouvoir n'est pas modifié, si seuls les marionnettistes changent et si les ficelles restent les mêmes, si l'Etat corrompu et discrédité ne connaît par une réinvention de ses modes d'intervention, et même de ses limites. Elle sera une grande révolution, une de celles que l'histoire distingue avec grandeur, si au lieu et place de cette persistance rétinienne de la caricature de démocratie d'hier, vient se substituer un nouveau pouvoir, repensé, réinventé. Un nouvel Etat en harmonie avec la société tunisienne, dans sa jeunesse, sa vigueur et ses envies. Il faut des femmes et des hommes jeunes neufs et libéraux pour cette jeune Tunisie.
Seule une nouvelle définition de l'exercice du pouvoir, dit-on en lisant Arendt, qui ne peut venir que de la rue et de l'expression d'un suffrage libre, sera en mesure de satisfaire l'attente de la jeune et solidaire société tunisienne qui a les moyens de s'inventer un nouveau pouvoir et une nouvelle relation avec un Etat redéfinit. Elle en a exprimé l'envie. Elle en a manifesté le besoin, elle en a payé le prix. Le peuple tunisien est parti seul dans cette quête d'une nouvelle pensée politique, sans leader, sans idéologie autre que celle de la liberté. Il convient maintenant de transformer cette voix du peuple en voie de la nation. Entre une démocratie occidentale, hypocrite soutien des dictatures et les révolutions islamistes sanglantes, répressives et corrompues, gageons qu'il y a un chemin et que la Tunisie a les moyens de l'exemple. Les moyens de sa grandeur, aux douces odeurs de jasmin.
Jean-Marc Fedida, avocat, et Karim Guellat, chef d'entreprise et universitaire
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire