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lundi 9 mai 2011

Tunisiens...Allons de l'avant

Comme beaucoup de tunisiens, j’ai écouté les enregistrements de l’interview de M. Rajhi et ses réactions quant à la situation actuelle en Tunisie.

Comme beaucoup ma première réaction, a été la frustration de se sentir manipulé, de sentir que je ne suis (pas) plus maitre de mon destin, que la révolution est en train d’être volée, instrumentalisée par des forces de l’ombre qui tiennent à ce que les mêmes schémas qui ont fait le chaos de la Tunisie se reproduisent… bref j’hésitais entre désespoir et désillusion.

Mais une fois cette montée d’adrénaline liée à l’attente des différents épisodes du feuilleton passée il me semble important d’une part de prendre un peu de recul par rapport aux événements et d’autre part d’en tirer surtout les bonnes conclusions.

Sans la liberté de blâmer il n’est point d’éloge flatteur

À son arrivée au ministère de l’intérieur, M. Rajhi a représenté pour beaucoup (et continue à le faire vu le nombre de fan sur ses pages) un espoir d’un vrai changement de mentalités, il a donné une impression de naïveté spontanée, qui laissait croire qu’enfin nous sortirons de l’ère la langue de bois, que nous avions enfin affaire avec  quelqu’un qui dit vrai.

Cette crédibilité a été appuyée par des décisions "héroïques" telles que le démantèlement de la police politique, la dissolution du RCD,… bref tout pour faire en sorte que les tunisiens soient bien prêts pour « boire » ses dernières déclarations et les prendre pour acquises. Il faut néanmoins pointer quelques incohérences et rappeler quelques faits.

Pourquoi avoir réservé ses déclarations à des journalistes amateurs, il aurait pourtant pu parler à Al Jazeera ou n’importe quelle autre média professionnel étranger et indépendant. En parlant à un professionnel on garantit au moins un certain niveau d’éthique professionnelle mais surtout une opposabilité : Al Jazeera a une image à défendre et ne se permet de faire du n’importe quoi, un amateur lui, n’a pas à se préoccuper d'un tel fardeau.

M. Rajhi dit plus récemment que ses propos ont été tirés par l’insistance du journaliste et qu’il ne pensait pas être filmé, pourquoi alors avoir dit en direct a 3h30 du matin qu’il ne regrettait rien, et qu’il assumait tout ce qu’il avait dit.

Monsieur Rajhi se vante d’avoir désigné les délégués sur simple envoi de fax et suite à deux jours de formation, est-ce acceptable ? Pour ma part je me pose des questions. Par ailleurs, Mr Rajhi dit que ses nominations n’ont pas été acceptées et que des personnes de l’ombre désignaient à son insu. Dans de telles conditions et connaissant le contexte, n’aurait il pas été plus judicieux alors de démissionner ?

Monsieur Rajhi dit (ou plutôt spécule selon ses propres aveux) que le général Ammar s’est déplacé a Qatar pour rencontrer l’ancien président, il aurait pu spéculer aussi sur le fait que la visite s’est plutôt faite dans le cadre des discussions avec le quartier général américain alors que la Tunisie était sous les attaques de Gaddafi.

Cette partie de l’entrevue me parait d’autant plus sensible que le Général Ammar, de par sa fonction ne peut répondre à de telles accusations et révéler le contenu de sa visite sans mettre en danger la sécurité du pays, qui vit une guerre à ses portes.

Le 6 Mai, beaucoup parlent d’intenter un procès à Mr Rajhi pour la gravité de ses propos et notamment ses allusions qui peuvent porter atteinte a l’institution militaire et donc à la sécurité du pays.

L’intéressé dément avoir eu des intentions quelconques, et nous serons peut être amené à condamner quelqu’un pour un abus de langage qui n’est pas tombé dans les oreilles d’un sourd,… pour ma part je pense d’une part que la responsabilité du journaliste est évidente et qu’il est tout aussi imputable du grabuge qui a lieu.

D’autre part ça ne peut que me rappeler un vieil adage bien de chez nous : el 7orr yetchadd men lsanou (les libres sont tenus par leurs langues) eh oui dans une ère ou l’information circule a vitesse grand V et où l’on sacralise la liberté d’expression on ne saurait rappeler l’importance de lier la liberté à la responsabilité.

Magouille et alors…

Outre ces questions qui trottaient dans ma tête le plus important me semble de regarder vers l’avenir : quelles sont les vraies révélations de Mr Rajhi, que des hommes de l’ombre commandent les désignations des personnalités politiques. Je suis peut être trop pragmatique mais ce « tkambiss » a toujours fait partie de la politique et de tous temps.

Pas plus tard qu’il quelques jours Trump, richissime milliardaire américain et grand partisan républicain s’est  vanté d’avoir payé des détectives pour enquêter sur la véritable nationalité de Barack Obama. En France, l’affaire Bétancourt, Total, et autres ne sont que des illustrations de cette « confusion » entre les intérêts économiques et politiques.

Croire que parce que nous avons fait une révolution, nous serons à l’abri de tout cela me semble tout simplement illusoire. La question n’est pas de savoir s’il y a magouille ou pas, la question est plutôt de savoir comment lutter contre.

Il faut d’abord se poser la question pourquoi un citoyen lambda pourrait-il avoir autant de pouvoir, on peut supposer qu’un homme d’affaires soit écouté par les plus hautes instances politiques d’abord parce qu’il a les moyens de « remercier » ceux qui lui font allégeance. Il faut donc se doter des outils nécessaires pour limiter l’intrusion de l’économique dans le politique.

Je pense notamment à l’urgence d’établir une loi sur le financement des partis. Les rumeurs quant aux finances démesurées d’Ennahdha, celles qui ont été révélées par El Fajr sur une toute aussi démesurée campagne autour du droit des femmes, la location des 37 bus révélée par M. Rajhi, doivent toutes être traitées de la même façon, à savoir établir clairement les règles du jeu.

Sinon comment éviter dans l’avenir qu’un autre « délateur » ne vienne nous parler de x ou y homme d’affaire qui soutient tel ou tel parti a coup de millions. Plus les règles du jeu sont claires dès le départ moins on risque d’avoir des problèmes pour accepter la victoire ou la défaite de tel ou tel parti.

L’autre condition pour une véritable vie démocratique : l’existence d’un contrepouvoir crédible et fort. il n’y a aucun parti au pouvoir qui est démocratique de son propre gré, la démocratie se gagne et ne se donne pas, la meilleure solution  (et la seule viable) pour que les élections se déroulent bien est que des observateurs de tous les partis soient placés dans les bureaux de vote, il faut absolument que la partie qui organise les élections sache qu’elles sous la loupe, non pas la loupe des étrangers (qui ont déjà cautionné la dictature) mais la loupe des parties prenantes. C’est en se sachant surveillée que tout se passe bien.

Par ailleurs, et quelque soit le gagnant des élections du 24 juillet, il faut qu’il soit contrôlé par une opposition forte qui a les prérogatives et le budget nécessaires pour pouvoir faire des contre enquêtes, des audits, proposer une alternative.

Actuellement notre paysage politique est trop fragmenté, parcellé, les partis sont d’abord motivés par des égos, des divergences personnelles que par une véritable idéologie ou du moins vision de l’avenir. Peut on nommer les formations qui seraient capables de proposer des listes, des observateurs dans tous les bureaux de votes, j’en vois deux, les ex RCD et Ennahdha.

Je suis contre une bipolarisation du débat autour de la question religieuse qui tendrait à opposer « religieux » vs « républicains »  mais dire qu’en Tunisie il y a 50 courants distincts, pas sur que ca tienne la route non plus…

Je pense qu’il est possible de les articuler autour de 3 ou 4 idées et priorités communes (faut il libéraliser l’économie, baisser les impôts ou au contraire les monter pour améliorer les services publics, faut il aider les tunisiens a acquérir des voitures ou plutôt améliorer les transports en commun, faut il encourager l’université privée, ou plutôt renforcer les universités publiques ? Faut-il préserver l’uniformité des diplômes pour garantir une équité entre les régions ou plutôt donner l’autonomie aux universités et promouvoir la concurrence entre elles…)

Par ailleurs et comme la prochaine échéance électorale approche a grands pas, je suis toujours aussi désolé de voir qu’aucun parti politique ne propose de mesures concrètes pour ce qui concerne la nouvelle constitution : on connait a peu près tous les dégâts occasionnés par Benali sur notre constitution mais pourquoi ne pas revenir tout simplement à la constitution de 1959.

La question du régime parlementaire a été largement évoquée dans la presse, il est très étonnant de voir que les partis politiques ne prennent pas de positions claires là-dessus ? Quelles réformes constitutionnelles proposent-ils ? Il nous reste à peine 2 mois et nous n’en savons encore rien.

Il est certain que les déclarations de Mr Rajhi ont de quoi inquiéter mais il faut surtout éviter de céder à la panique et garder le cap sur ce qui compte le plus, préparer les élections du 24 Juillet et faire en sorte qu’elles aboutiront à un gouvernement fort et légitimé par les urnes, un gouvernement qui fasse réellement la rupture avec les démons du passé pour qu’enfin nous puissions savourer les fruits de la révolution du 14 Janvier.

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