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dimanche 8 mai 2011

Tunisie/Farhat Rajhi : Au-delà des faits

Il semble fort improbable que les derniers événements violents à Tunis, soient liés stricto sensu aux déclarations de Farhat Rajhi, même s’il en a été l’étincelle. Cela ne le disculpe pas pour autant, de sa légèreté et le disqualifie certainement à prétendre au rang d’homme d’Etat. Néanmoins, sur le plan purement électoraliste, sa sortie a sûrement renforcé sa notoriété et même probablement sa popularité au moins auprès de la classe la plus populaire qui voit le monde en noir et  blanc et qui attend des explications simples à des problèmes complexes… F. Rajhi n’y est pas allé par quatre chemins, il a tenu un discours approximatif, populiste, et doublement dangereux. Dangereux pour la cohésion nationale autour de l’armée et dangereux pour l’unité nationale en diabolisant une région alors qu’il aurait pu se limiter à diaboliser une classe politique corrompue, accessoirement issue d’une même région. Malgré tout, on ne peut faire porter le chapeau à F. Rajhi, concernant les événements de ces derniers jours, pour la simple raison que ces événements ont débuté bien avant sa déclaration sulfureuse, il n’en a été que le malheureux prétexte.

En effet, cette bévue intervient après plusieurs « incidents » incompréhensibles et bizarrement, souvent tus par le gouvernement provisoire.
-         L’évasion de centaines de prisonniers, organisée par ceux-là même qui sont chargés de leur détention à savoir les responsables pénitentiaires
-         Les tensions entre gouvernement et haute instance concernant l’inéligibilité des RCDistes qui a mis le gouvernement sur la défensive
-         La grève des juges organisée par l’association des magistrats
-         Le scandale de la gestion par le gouvernement du dossier de Tunisie Telecom qui a vu la négation même, des principes fondamentaux de la gouvernance d’entreprise assumée en principe par le conseil d’administration et non par les syndicats
-         Les attaques de divers meetings politiques par de petites bandes de jeunes
 Mais surtout, surtout,
-         La mascarade du procès de Imed Trabelsi qui s’est présenté devant le tribunal dans une tenue incompatible avec son statut d’inculpé en état d’arrestation, et ce d’autant plus qu’il comparaissait devant le même juge complaisant qui l’avait relaxé dans l’affaire du yacht volé à Ajaccio en fabriquant lui-même de faux documents
-         Le ballet incessant au centre de détention de l’Aouina, non seulement des familles de la bande mafieuse, mais également des amis de leurs amis qui arrivent à toutes heures chargés de victuailles et même d’équipements électroniques.

Cette série de faits a choqué la grande majorité du peuple tunisien qui s’est sentie encore une fois bernée et l’a vécu comme une énième provocation insupportable. La série n’est d’ailleurs pas finie avec la nouvelle annonce de grève des agents municipaux et avec le jugement à deux ans de prison d’Imed Trabelsi pour une affaire dont la peine maximale serait d’une seule année … la justice a accouché d’une souris après plusieurs mois d’instructions et ne finit pas de se ridiculiser (au profit de l’ancien régime qui attend son procès), en mettant en avant les délits mineurs de ces grands criminels et en ne traitant pas avec la plus grande célérité les affaires les plus consistantes ! Dans une période aussi délicate que celle-ci, la justice se doit d’être tranchante sans tergiversations et regagner le respect du peuple, celui-là même dont la justice est prononcée en son nom. Le scandale de la destruction de tout un quartier de La Goulette, si sensible, si exemplaire et si populaire par le nombre de victimes chassées de chez elles en pleine nuit avec la complicité de l’appareil officiel et parallèle de sécurité n’est t-il toujours pas à l’ordre du jour ? Last but not least, l’absence de concentration de la justice sur les affaires politiques liées à l’ancien régime, révèle une absence de vision sur la gouvernance de la justice dans un pays désormais instable et pourrait conduire à " la privatisation" de la justice qui deviendrait plus expéditive.

A cet effet, des mesures spécifiques plus radicales et à la hauteur des événements historiques que vit la Tunisie auraient pu être prises. Ainsi, la spécialisation d’un ensemble de tribunaux pour le jugement de toutes ces affaires liées à l’ancien régime réunis dans un seul lieu physique pourrait non seulement accélérer le processus transitionnel mais également rendre une meilleure justice afin que tous soient jugés en dehors des pressions populaires et selon les mêmes canons. De même l’amnistie pour tous les délits mineurs et la mise en liberté de tous les détenus provisoires qui ne représentent pas un danger à l’ordre public afin de désengorger les tribunaux et les prisons seraient une initiative participant au calme général.

Il serait intéressant de chercher à comprendre qui aurait intérêt à bloquer le processus de transition démocratique et à qui profite l’instabilité sécuritaire et institutionnelle ?

Sans être grand clerc, il est facile de penser que plusieurs groupes ont un intérêt manifeste à changer le cours des événements :
-         Les familles déchues qui rêvent de récupérer leurs privilèges,
-         La nomenklatura du RCD dissous qui est devenue inéligible et dont l’avenir est devenu incertain
-         Les divers groupes proches de l’appareil sécuritaire de l’ancien régime
-         Des politiciens en course, incapables d’affronter si rapidement le nouveau jeu démocratique et qui essayent de retarder les échéances tout en espérant améliorer leur positionnement politique.

 Il ne serait pas étonnant de découvrir que ces groupes, chacun séparément ou parfois se partageant les rôles, s’allient pour bloquer le processus de transition démocratique. Ainsi, les familles déchues et la nomenklatura du RCD dissous, financeraient des groupes proches de l’appareil sécuritaire de l’ancien régime, pas nécessairement les mêmes, dans une sorte de fuite en avant, juste pour échapper aux menaces immédiates et repousser l’échéance de leur déchéance, mais sans évaluer à leur juste mesure, les conséquences de leurs actions et ce d’autant plus que le sentiment d’absence de justice se généralise.

Il nous reste à comprendre comment ces événements sont-ils organisés sur le terrain et qui en est le moteur opérationnel ? Mais n’est-ce pas là, le rôle du gouvernement, de sa police et surtout de sa justice. Si la majorité d’entre nous ne mette pas en cause l’intégrité de Béji Caied Essebsi,  sa volonté de faire aboutir le processus transitionnel dans les meilleures conditions dans les délais convenus et sa dextérité à apaiser les forces vives de la nation, il n’en est pas moins vrai, que le processus d’affaiblissement de l’état commencé bien avant lui, continue sur sa lancée. Dans ces conditions, condamner les événements de ces derniers jours, ne reviendrait-ils pas tout d’abord à condamner le gouvernement et surtout sa justice ?

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